La séparation avec la nature
Nous vivons séparées de la nature : c’est le premier lien déchiré que nous pouvons réparer, dans le fil de la grande cause écologique. Mais actuellement, si nous cherchons à retrouver ce lien avec la nature, nous le faisons souvent de façon intellectuelle, rationnelle : on nous dit de sauver la planète, de trier nos déchets, de veiller à notre empreinte carbone, de moins consommer, ce qui est sans doute nécessaire, mais qu’en est-il de l’éveil de notre sensibilité ? Sommes-nous capables, à nouveau, d’entendre au de sentir le sanglot de la Terre qui pleure, comme disait Tich Nhat Hanh ? Sommes- nus capable de recevoir en nous la puissance créatrice de la nature ? Sommes-nous capables de contempler la grande harmonie du cosmos, d’inscrire notre action dans la sienne, comme l’instrumentiste s’accorde à l’orchestre, et d’y participer consciemment en faisant notre part de sa grande œuvre de beauté, d’ordre, de justice et de paix ?
La séparation avec autrui
L’autre lien à restaurer concerne autrui. Nous vivons dans des sociétés individualistes e communautaristes, en guerre armées, économique ou culturelle les uns contre les autres. Nous assistons à la multi-guerre de multi-identités :il suffit d’avoir une culture, une religion, une idéologie, quelle qu’elle soit , pour qu’aussitôt nous en fassions un motif d’exclusion de ceux qui n’appartiennent pas à notre groupe et que nous entrions en guerre vis-à-vis de celui qui n’a pas la même identité, pas la même culture, pas la même religion, pas la même idéologie ; et tout cela sur la base d’une séparation de plus en plus indécente entre les classes sociales, entre les riche et le pauvres , à l’intérieur de nos propres sociétés occidentales, et, évidemment, à des échelles aggravées, planétaires, entre sociétés plus ou moins développées économiquement. E les appels à davantage d’humanité, de tolérance, de partage restent vains, ou ne produisent que des résultats insuffisants, parce que nos éducations n’ont pas du tout assez ouvert nos cœurs, pas assez éveillé en nous le sens de la fraternité universelle.
La séparation avec soi
Le lien à soi est aussi en souffrance, et il est, lui aussi, à restaurer. Il s’agit de la relation que l’on a avec son propre cœur, un cœur entendu au -delà même de la capacité à ressentir ou éprouver quelque chose, comme un organe spirituel que nous relie à l’infini, à l’infiniment plus grand que soi, à ce qui est au-delà de l’espace et du temps, à l’origine de toutes choses. Mais, là encore, quelle éducation à trouver son cœur recevons-nous ? Qui nous apprend à vivre selon ce qui jaillit de ce cœur ? Quel exercice spirituel pratiqué au quotidien peur libérer dans notre existence tout entière sa source de vie, d’amour et de puissance ? Car le cœur n’est pas seulement un organe physique, sensible. Il nous relie à une profondeur à côté de laquelle la profondeur de l’univers lui-même n’est qu’une surface. Et du côté de cette profondeur, de cette origine, il y a une fontaine de miséricorde, issue d’une source mystérieuse d’où surgissent l’univers et son harmonie… Mais laquelle de nos méditations nous apprend à creuse assez profond pour libérer son jaillissement ?
Nous vivons des existences qui, hélas, sont rarement alignées entre ce plus profond intérieur et l’extérieur, où l’eau fondamentale ne s’écoule pas de nos cœurs à nos pensées jusqu’à nos actes, nos engagements, si sincère soient-ils. Nous ressentons dès lors comme une souffrance, entre ce que nous sommes et ce que nous faisons, et nous remplissons ce vide avec des consommations extérieures.
Nous souffrons aussi d’une société qui ne nous donne pas l’occasion, dans notre travail, de chercher puis de libérer et d’engager la ressource de ce-moi si profond, mais qui nous conditionne et nous condamne à ne vivre qu’en surface de nous-même, Ainsi, nous restons si faibles, si fragiles, que nous devenons une proie toujours plus facile pour toutes les dominations, explorations, aliénations, illusions qui prolifèrent dans le monde d’aujourd’hui.
Pour résister à cela, pour être plus forts que ce qui nous tue, nos grands liens sont des canaux. Ils nous relient à des énergies sans lesquelles nous serons, hélas ! toujours plus impuissants et deviendrons plus encore des proies pour les prédateurs de toutes les dominations, de toutes les aliénations, à commencer par les aliénations consuméristes, mais aussi les aliénations politiques. L’enjeu du spirituel, c’est-à-dire l’enjeu de la puissance des liens, est inséparablement un enjeu politique. Voilà pourquoi il est urgent et nécessaire, me semble-t-il, que nous réfléchissons ensemble, nous nous méditions ensemble, à partir de la ressource la plus intérieure, à la façon dont nous allons pouvoir reconstruire des vies authentiquement humaines, retisser nos liens essentiels, nos liens de vitalité, nos liens de lucidité, nos liens de lumière, les liens que nous engagent dans le monde de Façon à la fois intelligente, généreuse et amoureuse.