MÉTAVERS DE CONSCIENCE 

Dans « Le solipsisme convivial », Hervé Zwirn explore la manière dont notre perception de la réalité est influencée par divers filtres, tels que le langage, la culture, l’éducation, et même nos sens physiques. Il introduit le concept de conscience de l’observateur « accrochée » à une branche de la fonction d’ondes, limitant ainsi notre capacité à observer seulement la partie classique correspondante.

En s’appuyant sur la théorie de la décohérence et en rejetant le réalisme empirique pragmatique, Zwirn propose une perspective appelée solipsisme convivial. Selon cette perspective, la décohérence explique l’apparence classique de la réalité malgré son naturel quantique. Les observateurs deviennent partie intégrante d’un grand système, et la communication entre eux agit comme un processus de mesure, assurant la cohérence des observations.

L’interprétation solipsiste conviviale suggère que chaque observateur vit dans son propre monde, accroché à une branche spécifique de la fonction d’ondes. Malgré des mondes potentiellement différents, les observateurs restent en accord, et il est impossible de détecter des désaccords. Zwirn conclut en soulignant une conséquence étrange de l’indéterminisme quantique : bien que l’évolution de la fonction d’ondes de l’Univers soit déterministe, le mécanisme d’accrochage introduit une forme de hasard, rappelant que c’est désormais l’homme, et non Dieu, qui semble jouer avec le destin.

“Face au Réel, les perceptions que nous livre la science ne sont pas neutres et objectives mais sont dépendantes de tous les filtres conceptuels du langage, de la culture, de l‘éducation, mais aussi des filtres physiques de nos sens. Ce qu’on appelle habituellement un “phénomène” se situe à ce niveau. Il est à référer au Symbolique et à l’Imaginaire, et la résistance du Réel provient de l’incomplétude même de ces deux ordres qui le font pourtant ex-sister.”
“La science et l’ineffable” Alain Cochet

Le solipsisme convivial de Zwirn

« Le solipsisme convivial consiste alors à considérer que la conscience de l’observateur est « accrochée » à l’une des branches de la fonction d’ondes ne lui permettant d’observer que la partie classique correspondante. La conscience joue en quelque sorte le rôle d’un filtre ne permettant de voir qu’une partie de la fonction d’ondes globale. À la suite de Bernard d’Espagnat qui a proposé une interprétation permettant de résoudre les problèmes soulevés par la théorie des états relatifs d’Everett, j’ai développé une position, le solipsisme convivial, qui s’intègre dans le cadre de la théorie de la décohérence. Cette position suppose qu’on refuse de se placer dans le cadre du réalisme empirique pragmatique. Bien que défendant par ailleurs une position différente qu’il serait trop long de détailler ici, je me placerai ici dans le cadre du réalisme métaphysique. La décohérence est alors le mécanisme qui explique l’apparence classique pour nous d’une réalité qui demeure essentiellement quantique, c’est-à-dire enchevêtrée. Le solipsisme convivial fait entrer l’observateur lui-même dans le grand système Σ. Le raisonnement que nous avons décrit conduit alors à considérer que l’observateur est aussi dans un état enchevêtré avec le système, l’appareil et l’environnement. Du point de vue de la réalitéprofonde (et non de l’apparence de cette réalité pour nous), seule une fonction d’ondes globale superposée «existe ». Dans cette fonction d’ondes, les différents résultats possibles de mesure sont présents et sont corrélés ainsi que tous les états correspondants de l’observateur. La décohérence intervient et permet de régler un certain nombre de problèmes que nous n’avons pas eu la possibilité d’évoquer : quelle est la grandeur mesurée par exemple, ce qui a pour effet de résoudre la difficulté que nous avons signalée à propos de l’interprétation d’Everett. Le solipsisme convivial consiste alors à considérer que la conscience de l’observateur est « accrochée » à l’une des branches de la fonction d’ondes ne lui permettant d’observer que la partie classique correspondante. La conscience joue en quelque sorte le rôle d’un filtre ne permettant de voir qu’une partie de la fonction d’ondes globale. Une définition précise de ce processus permet de montrer que les prédictions habituelles de la mécanique quantique sont respectées malgré le fait que la fonction d’ondes n’est jamais rigoureusement réduite. Le point surprenant est alors que rien n’oblige deux observateurs différents à être accrochés à la même branche. Pour une mesure donnée, un observateur peut être accrochéà la branche donnant le résultat A alors qu’un autre le sera à la branche donnant le résultat B. Comment peut-il en être ainsi alors qu’on sait que deux observateurs de la même expérience sont — en général — d’accord sur le résultat ? La raison en est que la communication entre observateurs est elle-même un processus de mesure et que le mécanisme d’accrochage garantit la cohérence des observations pour un observateur. Supposons qu’André a observé le résultat A et Bernard le résultat B. Les deux observations ne sont que l’accrochage de la conscience d’André et de Bernard à leur branche propre de la fonction d’ondes globale qui contient les deux possibilités. Si André demande à Bernard ce qu’il a vu, l’interaction entre André et Bernard qui en résulte contient la totalité des possibilités, donc à la fois une branche où Bernard répond A et une branche où Bernard répond B. La fonction d’ondes d’André sera après l’interaction avec Bernard dans un état enchevêtré contenant les deux réponses mais la conscience d’André s’accrochera à la branche correspondant à la réponse cohérente avec son observation précédente, il entendra donc Bernard répondre A conformément à son attente. C’est la raison pour laquelle cette interprétation porte le nom de solipsisme convivial : chaque observateur vit dans son monde qui peut être totalement différent de celui des autres, mais il n’existe aucun moyen de se rendre compte des désaccords et les observateurs sont en parfait accord. Ceci fournit une nouvelle explication de l’intersubjectivité : il n’y a aucun moyen de constater un désaccord. Signalons pour terminer une conséquence étrange sur l’indéterminisme de la mécanique quantique. La fonction d’ondes de l’Univers évolue de manière parfaitement déterministe par l’équation de Schrödinger, seul le mécanisme d’accrochage tire au sort la branche à laquelle chaque observateur s’accroche. Ce n’est donc plus Dieu qui joue aux dés, c’est l’homme, mais avec le constat étrange que deux joueurs peuvent voir le même dé tomber sur une face différente ». 

Hervé Zwirn, Mécanique quantique et connaissance du réel.

***

SOMMES NOUS DANS UN MÉTAVERS DE CONSCIENCE ?

Le 18 janvier 2024, dans Métamorphose, l’intégrale, Anne Ghesquière accueille Romuald Leterrier, chercheur indépendant en ethnobotanique spécialisé dans le chamanisme amazonien, et Jan Kounen, auteur et réalisateur. L’émission explore la possibilité que nous soyons immergés depuis toujours dans un Métavers de conscience, accessible grâce à des technologies de l’esprit.

Se demandant si la technologie peut nous permettre de vivre des états d’être transformateurs et si elle peut nous aider à mieux comprendre notre réalité, l’ouvrage co-signé par les deux invités, « Métavers, et s’il avait toujours existé ? », édité chez Guy Trédaniel, examine l’intersection entre sciences, technologies et spiritualités.

L’exploration nous conduit des jungles de l’Amazonie aux avancées de l’Intelligence Artificielle, des profondeurs de l’inconscient collectif à la rencontre des esprits et des archétypes. Les discussions abordent divers sujets, notamment l’immersion dans un Métavers naturel, la relation entre Métavers et conscience, la capacité humaine à se connecter aux mondes invisibles, ou encore le lien entre réalité virtuelle et expériences visionnaires avec l’Ayahuasca.

Les invités, Romuald Leterrier et Jan Kounen, sont des experts respectés dans leurs domaines respectifs. Leterrier, auteur de « Se souvenir du futur » et « Univers-Esprit : Tout est relié », est reconnu pour ses recherches en ethnobotanique. Kounen, réalisateur de films comme « Dobermann » et « 99 Francs », ainsi que du documentaire « D’autres mondes », a également exploré le chamanisme à travers ses écrits.

Dans leurs échanges, Romuald souligne l’accessibilité de la réalité lorsque le cerveau n’est plus filtré par l’éveil, tandis que Jan met en lumière le rôle crucial des sens dans notre perception de la réalité. Ils soulignent également l’importance de ressentir plutôt que de seulement réfléchir dans l’accès à des états de conscience différents.

Ensemble, Leterrier et Kounen proposent une réflexion audacieuse sur l’exploration du Métavers, la perception de la réalité et l’essence de l’expérience humaine.