LES ABUS DANS LE LIEN

En pleine écriture d’un récit biographique, il est naturel et même obligatoire pour moi de plonger dans l’époque de mon enfance et l’environnement culturel de mon pays d’origine, la Moldavie. Tout a changé depuis. Ce qui était courant il y a 40 ans ne l’est plus nécessairement de nos jours. En me remémorant les premières années de mon enfance, je me souviens que la violence conjugale était assez courante dans les familles.

De nos jours, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la violence conjugale touche une femme sur trois dans le monde. Je suis à vrai dire atterré par ces chiffres. Comment peut-on encore subir de la violence physique de la part de son conjoint et continuer à l’aimer, à le chérir, à faire l’amour avec lui, à se montrer heureux en société avec lui ? Ces femmes sont des héroïnes dans leur esprit. Humainement, c’est d’une force extraordinaire de pouvoir faire cela, même si c’est combiné à des conditionnements sociétaux et des emprises psychologiques.

La violence physique, les viols et les insultes sont des abus reconnus et condamnables de nos jours. Savez-vous que le viol, et surtout le viol conjugal, est très récent en tant que crime ? Par exemple, en Suisse :

En 1942 : La Suisse a introduit des définitions du viol, le définissant comme une relation sexuelle obtenue par la contrainte, la menace ou la violence.

En 1992 : La Suisse a étendu la définition du viol pour inclure les actes sexuels autres que la pénétration vaginale, reconnaissant ainsi la gravité des autres formes de coercition sexuelle.

Ce n’est qu’en 2004 que la Suisse a explicitement reconnu le viol conjugal comme un crime, renforçant ainsi les protections légales pour les victimes de violences sexuelles au sein du mariage.

Bien que des progrès aient été réalisés dans la reconnaissance légale de la violence, des agressions, des viols et des insultes, il nous faudra encore quelques décennies pour pleinement légaliser et prouver la violence psychologique. Ce n’est pas toujours possible de prouver cela légalement, mais il est crucial à mon sens de stimuler l’esprit à les reconnaître, car ces abus prennent de nombreuses formes très subtiles.

Formes d’Abus Psychologiques

Avez-vous réfléchi aux formes d’abus que vous évitez ou subissez dans les relations ? C’est un sujet qui m’intrigue depuis longtemps, et voici quelques formes d’abus pour lesquelles parfois une claque ferait moins mal et aurait moins de dégâts de stress post-traumatique complexe que ces dynamiques relationnelles à répétition :

  • Le dénigrement, la critique constante, l’humiliation, le rejet…
  • Contrôler l’autre
  • Prendre le pouvoir sur l’autre, le prendre de haut ou le jalouser malsainement
  • Se mettre dans des dynamiques « j’ai raison et tu as tort » ou « J’ai toujours raison ».
  • Se mettre en compétition et se considérer supérieur à l’autre
  • Entrer dans des rapports de force et jeux de pouvoir
  • Diriger ou vouloir aider l’autre sans son consentement conscient
  • Donner des conseils non sollicités (forme d’abus de supériorité)
  • Vouloir éveiller l’autre sans qu’il ne le demande (abus par non-acceptation du désir ou de l’intelligence d’incarner le mystère)
  • Vouloir changer l’autre, même s’il promet de changer (voir mon post précédent – le changement est une illusion)
  • Prétendre savoir ce qui est mieux pour l’autre
  • Vouloir guérir l’autre alors qu’il n’a rien demandé

La liste est très longue en réalité… Je suis sûr que vous pouvez la compléter avec d’autres choses. Mais il y a une autre liste plus silencieuse. Les formes d’abus silencieuses sont celles où l’on subit de la négligence relationnelle, comme par exemple :

  • Les silences alors qu’il y a besoin d’une réponse, d’agir ou de soutenir
  • Ne pas répondre aux questions, aux messages, disparaître, rester bloqué sur son portable pendant un rendez-vous face à face
  • Arriver souvent très en retard
  • La déshumanisation : ne pas reconnaître la souffrance d’un proche, ses émotions, ses besoins et ses incapacités
  • Exiger d’être heureux même s’il ne l’est pas, surtout avec la nouvelle mode actuelle d’être toujours dans des vibrations hautes
  • Idéaliser ou sous-estimer dans la relation

L’Illusion de l’Amour Inconditionnel

Ces femmes ou ces hommes qui subissent des violences conjugales seraient-ils pris par l’illusion de l’amour inconditionnel dans la relation ? Dans mon travail de coach, j’entends souvent mes clients dire qu’ils veulent vivre le véritable amour. Bien que ce soit toujours un désir très loin de toute forme d’abus, je suis toujours perplexe face à ce désir.

Avez-vous pensé à ce que signifie pour vous vivre le véritable amour ? Personnellement, ce terme me semble très grotesque, comme s’il y avait un amour plus véritable qu’un autre. Chaque fois, c’est un amour véritable, car à chaque fois j’ai des besoins et des aspirations différents.

Derrière ce concept de véritable amour, il y a souvent l’association à l’amour inconditionnel. L’amour inconditionnel dans l’amour relationnel est pour moi une pure illusion. L’amour inconditionnel peut se vivre dans des contextes spécifiques comme dans son travail ou l’amour pour ses enfants.

Agir dans le monde à partir de l’amour de soi ou l’amour pour ses enfants mène à un amour des humains en général qu’on peut appeler l’amour inconditionnel.

L’amour relationnel, quant à lui, est toujours conditionnel ! Il est naturellement conditionné par l’harmonie avec nos valeurs, nos besoins et nos aspirations. La grande erreur est de chercher l’amour inconditionnel dans les relations amoureuses. Dans l’amour relationnel, la dynamique est : je t’aime si. Par exemple :

  • Je t’aime si tu es fidèle, car la fidélité est importante pour moi.
  • Je t’aime si tu ne me frappes pas, si tu ne me contrôles pas…
  • Je t’aime si tu me respectes, si je me sens libre avec toi…
  • Je t’aime si tu as de l’humour, si tes actes et tes paroles me font du bien…

Chaque amour que nous traversons est éternel. Si l’amour que nous avons vécu avec quelqu’un était profond, nous allons l’aimer pour le reste de notre vie. Cela ne veut pas dire que nous devons vivre avec lui ou elle ou le côtoyer fréquemment pour le restant de nos jours. Parfois nous pouvons aimer quelqu’un davantage à distance. L’amour relationnel est un amour gustatif, nous devons avoir la sensation d’aimer savourer l’autre comme un plat pour pouvoir vivre avec lui. Mais nos goûts changent au fil des années. Chaque 7 ans, nous développons une autre version de nous-mêmes et pour rester avec la même personne une vie entière, il faudrait que tous les 7 ans nous devenions amoureux de l’autre version de soi et de l’autre.

Paradoxes de l’Amour

Il est intéressant d’observer le paradoxe entre être amoureux, qui est pour moi une connexion spirituelle avec une opportunité d’éveil, et tomber amoureux, qui conduit souvent à un aveuglement. Tomber amoureux est aussi une question névrotique liée à nos failles intérieures, une rencontre entre l’ego de l’autre et le sien. Les recherches scientifiques confirment que tomber amoureux est un phénomène de stimulation hormonale et un état d’aveuglement physiologique, nous empêchant de voir les choses qui peuvent nous déranger ou même, à l’extrême, nous tuer.

Dans ce paradoxe, il est important de distinguer deux choix différents :

  • Le choix d’être un amoureux dans la vie qui se nourrit avec chaque opportunité amoureuse qui se présente. Sans oublier avant tout de tomber amoureux de soi en premier.
  • Le choix d’aimer quelqu’un naturellement imparfait (la perfection et le partenaire idéal sont une pure illusion) et de rentrer courageusement dans une relation de couple. Cela ne signifie pas quitter la relation d’amour si on tombe soudainement amoureux de quelqu’un d’autre. Au contraire, tenir tant que c’est possible et ne pas franchir le pas de la tromperie. L’astuce pour ne pas être infidèle dans une relation, c’est que chaque partenaire incarne toutes les personnes qui nous stimulent à l’extérieur.

Sortir des Abus Relationnels

Je me suis un peu étendu sur les relations conjugales, mais les abus sont souvent très présents dans toute forme de lien que nous tissons. Pour sortir de toute forme d’abus, voici les compétences indispensables à développer :

  • Apprendre à vivre seul et être en paix avec sa solitude. Comprendre que le vide auquel nous avons souvent peur est l’espace de création infinie où l’univers peut s’exprimer à travers nous.
  • Apprendre à aimer sa solitude et se familiariser avec le vide et la vie en soi.
  • Apprendre à être la priorité de sa vie : s’aimer et se respecter tel que nous sommes – des imparfaits. Devenir pour soi sont meilleur ami!
  • Apprendre à générer de l’intensité dans sa vie quand on en a besoin et à être créatif et inspirant pour soi.
  • Apprendre à poser des limites claires dans toute forme de relation.
  • Apprendre à ne plus avoir des attentes. Dans la relation amoureuse surtout, ne pas attendre le prince charmant qui va vous sauver, vous protéger, vous sécuriser (la relation amoureuse peut vous offrir de la stabilité mais surtout pas de la sécurité) ; ou pour les hommes, chercher la femme idéale (la femme idéale est celle qui vous stimule dans le moment).
  • Relationner d’égal à égal, si ce n’est pas possible, rompre la relation immédiatement.
  • Sortir de l’illusion que le couple est pour la vie. On aime l’autre dans l’instant et la durée n’est jamais prévisible malgré notre plus grande volonté.

En conclusion, en reconnaissant les dynamiques relationnelles d’abus et en apprenant à poser des limites, nous pouvons vivre librement avec ceux qui nous sont chers. L’amour véritable, qu’il soit conditionnel ou inconditionnel, doit toujours respecter les besoins et les aspirations de chacun.

Genève, le 25 juillet 2024


Aurika Ursu
Le leadership au service de la conscience