INTERDEPENDANCE

« Aucun homme n’est une île, un tout, complet en soi ; tout homme est un fragment du continent, une partie de l’ensemble ; si la mer emporte une motte de terre, l’Europe en est amoindrie, comme si les flots avaient emporté un promontoire, le manoir de tes amis ou le tien ; la mort de tout homme me diminue, parce que j’appartiens au genre humain ; aussi n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas : c’est pour toi qu’il sonne. » – John Donne

« La vie humaine, en tant que réalité radicale, n’est que la vie de chaque personne, et ma vie, c’est essentiellement une solitude, une solitude radicale » – Cette citation du philosophe espagnol José Ortega est à la fois « inspirante » et à la fois galçante. Si nous la prenons au pied de la lettre, nous sommes très loin de l’interdépendance.

L’hyperindividualisme croit se protéger en se retranchant dans la bulle de l’égocentrisme. Mais, en vérité, il devient extrêmement vulnérable, car le monde entier surgit soit en ennemi potentiel, soit en instrument pour promouvoir ses intérêts personnels. Le monde devient entièrement polarisé entre moi rétréci qui s’imagine que l’univers pourrait être un catalogue disponible à tous ses désirs et ses caprices, ou bien qui le perçoit comme une menace. Cette vision des choses est intenable, non seulement parce que moi, moi, moi du matin au soir rend la vie misérable, à soi-même et à autrui, mais aussi parce que c’est une vision qui se trouve en porte-à-faux avec la réalité.

Moi-même, dans certaines périodes de ma vie, j’ai longtemps associé l’autonomie à l’indépendance et à l’isolement. Ce mode de fonctionnement s’est avéré être en réalité contraire à l’autonomie, totalement fragilisant et autodestructeur. L’autonomie ne signifie pas seulement être capable de se débrouiller seul, mais également reconnaître notre interdépendance avec les autres.

Nous ne sommes pas des entités autonomes semblables à des boules de billard qui s’entrechoquent de temps en temps, nous sommes fondamentalement interdépendants.

Dans une relation de couple, par exemple, beaucoup d’entre nous ont parfois trop tendance à attendre que notre partenaire réponde à une majorité de nos besoins, même les plus complexes. Cependant, il n’existe pas de partenaire idéal pour répondre à nos nombreux besoins, car chacun de nous est très complexe, multidimensionnel, surtout vivant et interdépendant.

S’aligner avec nos besoins fondamentaux et même les plus complexes représente pour moi un acte d’éveil, car cela nous permet d’entrer en harmonie avec nous-mêmes et avec les autres. Reconnaître nos besoins et parfois même les partager ouvertement avec les autres favorise une relation authentique avec notre entourage, renforçant ainsi nos liens interpersonnels.

Le lien entre corps et esprit fait l’unité de l’être. Le lien entre les individus fait l’unité de l’humanité. Le lien entre l’humanité et la terre fait l’unité du monde.

Dans cette période de crise généralisée de lien où la technologie l’emporte sur le contact humain, aller à la rencontre de l’autre en vibrant ce que nous voulons donner en débordement de notre plénitude à recevoir, dans un soutien mutuel, est essentiel pour nous épanouir pleinement, tant à l’échelle individuelle que collective.

Il m’est personnellement arrivé de considérer certains de mes besoins fondamentaux comme insignifiants ou honteux .. . Parfois, notre fierté ou nos carences du passé peuvent nous empêcher de reconnaître pleinement certains besoins, mais cela ne fait que renforcer notre isolement et notre mort quelque part.

En prenant conscience de l’existence de nos besoins selon notre histoire et notre individualité, comme un arbre qui a besoin du soleil, de l’eau, d’un lieu particulier, ou de certains ingrédients, une harmonie vibratoire se crée pour nous épanouir.

Écouter l’autre, c’est créer un espace – un contenant. Un contenant qui soutient, arbitre, porte, protège aussi.

L’ouverture aux autres pour partager son histoire, ses fragilités et ses capacités, au fond donner et recevoir, nous fait rentrer dans une vibration collective, celle de l’authenticité de l’épanouissement à travers l’interdépendance.

L’individualité avec nos fragilités et nos forces, loin d’être un obstacle à l’interdépendance, en est en réalité le fondement. Nos similitudes et nos différences sont autant de sources d’inspiration et de créativité. Elles nous permettent d’aborder les défis avec une multitude de perspectives et de solutions potentielles.

La récente découverte de molécules organiques sur l’astéroïde Ryugu rappelle notre lien profond avec l’univers, soulignant à quel point notre individualité est partie intégrante du tissu cosmique de la vie.

Les atomes qui composent nos corps sont issus de réactions nucléaires qui ont eu lieu dans les étoiles et se sont propagés à travers l’Univers pour finalement aboutir à notre existence.

https://www.20min.ch/fr/video/des-echantillons-dasteroides-renforcent-la-theorie-sur-lorigine-de-la-vie-182697458602

Nous venons donc des étoiles, notre origine et destination. C’est pourquoi nous pouvons dire poétiquement que nous sommes des poussières d’étoiles.

En embrassant pleinement notre unicité qui est pour moi la porte de notre vie spirituelle, tout en reconnaissant notre interdépendance, nous nous engageons à créer un monde où chaque individu a sa place. C’est dans cette dynamique de collaboration et de soutien mutuel que nous trouvons notre véritable pouvoir pour façonner un avenir authentique et interdépendant.

Cette individualité ne nous isole pas, elle nous connecte. Elle nous rappelle que, quelle que soit la direction de notre conscience – de moi vers les autres ou des autres vers moi – nous avons besoin les uns des autres pour grandir, évoluer et prospérer. Notre épanouissement, notre rayonnement, notre harmonie intérieure sont intrinsèquement liés à ceux des autres.

L’individualité qui est notre unicité est la clé de l’harmonie collective. Elle nous permet de contribuer de manière unique à la société tout en reconnaissant que nos actions ont un impact sur les autres.

Interrogeons-nous sur notre individualité, c’est-à-dire ce qui nous fait briller, ce qui nous rend vivants et ouverts aux autres, et célébrons-la tout en embrassant l’altérité. Ensemble, nous pouvons créer un avenir où la diversité est valorisée, la collaboration encouragée, et où chaque individu joue un rôle essentiel dans la symphonie de la vie.

Chacun de nous n’a pas les mêmes capacités, tout comme chacun ne deviendra pas un champion olympique du saut en hauteur ou du marathon, mais nous avons une énorme marge de manœuvre par rapport à notre point de départ, et si nous apprenions à davantage utiliser le dos du couteau, comme le dit Cécile Bolly, pour réparer nos liens, en prendre soin, alors nous pourrions vivre en harmonie, en frères et sœurs humains, et progresser ensemble .

Notre individualité, notre épanouissement, est notre pouvoir, et notre interdépendance est notre force.

Placer les liens au cœur de notre existence nous conduit vers une vision d’amitié universelle. Cela implique également de réintégrer la philosophie, la poésie et l’humour au sein du discours politique. C’est être prêt à remettre en question et à réinventer ce qui nous unit et nous permet de vivre ensemble de manière plus épanouissante.

Les abeilles comme symbole de l’interdépendance

« Les abeilles sont de grandes pollinisatrices et, dans une ruche, elles œuvrent par dizaines de milliers avec une organisation incroyable, basée sur une stricte répartition des tâches. Chaque abeille ouvrière est successivement nourrice, nettoyeuse, architecte, ventileuse, gardienne et butineuse en fonction de son âge. En plus d’être de grandes travailleuses, les abeilles sont aussi très douées pour communiquer entre elles. En émettant des phéromones, captées par les autres abeilles, elles informent leurs « consœurs » de la situation de la ruche. En cas de problème, elles changent d’activités pour aider la colonie à s’adapter, voire à se défendre. Les butineuses communiquent aussi par la danse. Elles transmettent ainsi des informations précieuses quant à la présence de pollen dans telle ou telle direction, sa disponibilité et sa qualité.

Cette observation rapide de la vie de la ruche est riche d’apprentissages. Les abeilles nous apprennent que l’on peut vivre en harmonie en société lorsque l’on trouve sa place. Le rôle que nous jouons dans le groupe nous permet de participer à un projet commun et donne du sens à notre vie. « Elles nous rappellent l’importance de l’interdépendance entre les écosystèmes, le lien à la terre ainsi qu’à l’alimentation et au collectif. Elles nous enseignent que tout est lié et que nous sommes la nature. » »

Anne Ghesquière dans Va, vis et deviens Conscient de toi-même , 12 chemins de métamorphose

Aurika Ursu

Le leadership au service de la conscience

Texte révisité le 9 avril 2024, enrichi de l’expérience de l’interdépendance, avec les passages en italique tirés du livre « La Puissance des Liens », dirigé par Ilions Kotsou et Caroline Lesire, en collaboration avec Christophe André, Fabienne Brugère, Rebecca Shankland, Adennour Bidar, Boris Cyrulnik et Matthieu Ricard. À la fin, une citation d’Anne Ghesquière dans « Va, vis et deviens : Conscient de toi-même, 12 chemins de métamorphose ».